Le secret des rois tatoués
Salon de tatouage à Nagasaki, Japon en 1892. Illustration du Journal London News
Durant près de quatre siècles, le tatouage et ses adeptes ont souffert d’une mauvaise réputation. Véritable tabou, le tatouage était associé aux populations marginales, potentiellement dangereuses, dont les dessins encrés représentaient à la fois un signe d’appartenance à un groupe et un défi lancé à la société et aux autorités.
Pourtant, à partir du XIXème siècle, le tatouage était apprécié et même recherché par toute une partie de l’élite politique et militaire occidentale. Certains grands rois et dirigeants occidentaux portaient déjà des tatouages au XVIIème siècle, quand l’art corporel était considéré comme un signe de distinction ou de force. Le tatouage attestait et valorisait leur passé militaire. Et c’est encore le cas aujourd’hui chez les célébrités et personnalités politiques.
« La pratique du tatouage, fort ancienne, connaît une nouvelle vogue aux deux extrémités de l’échelle sociale : tandis que les marins, mais aussi les truands et les prostituées, se font tatouer dans les échoppes qui se multiplient dans tous les ports européens et américains, la noblesse, voire les têtes couronnées, lancent la mode du tatouage comme signe d’appartenance à l’aristocratie; le must consistant à se rendre au Japon pour se faire tatouer par un maître réputé comme le font le roi d’Angleterre Georges V, le Tsar Nicolas II et plusieurs membres de la famille royale du Danemark à la fin du XIXème siècle ». Explique Laurent Martin, chargé de recherches au Centre d’histoire de Sciences Po.
Entrons sans plus attendre dans l’univers très secret des tatouages de rois.
LE DRAGON BLEU DU ROI D’ANGLETERRE GEORGES V (1865)
Le duc d’York, futur roi George V, entre dans la marine en 1877 avec son grand frère, Albert. A partir de 1879, tous deux servent sur le H.M.S. Baccante, navire militaire d’entrainement de la Royal Navy, accompagnés de leur tuteur John NealeDalton. Le bateau réalise une tournée des colonies de l’Empire Britannique dans les Caraïbes, l’Afrique du Sud et l’Australie. Ils se rendent également aux Etats-Unis, en Amérique du Sud, en Méditerranée, en Egypte et en Asie de l’Est.
C’est à Yokohama, au Japon, que George se fait tatouer un dragon bleu et rouge sur son bras.
Archive du dragon bleu que se fit tatouer le prince George
Le compte-rendu de leur voyage rédigé par Dalton et intitulé The Cruise of HMS Bacchante, constitue une archive très fiable. C’est un célèbre tatoueur Japonais, Hori Chiyo, qui tatoue le futur roi sur le bras.
Le Prince George se faisant tatouer sur le bras gauche par Hori Chiyo
(George Burchett, Memoirs of a tattooist)
Hori Chiyo est considéré comme « l’empereur » du tatouage au Japon. Dalton rapportera dans son compte-rendu que son frère, le Prince Albert, se serait enthousiasmé de ce que « l’homme était magnifiquement tatoué sur tout son corps. Les effets de ces dessins Japonais, les courbes et les nuances de couleurs faisaient l’effet d’une soie brodée sur sa peau claire ».
Photographie de Hori Chiyo
Cette époque correspond à celle du début de l’ère Meiji au Japon. Même si elle marque la fin de la politique d’isolement volontaire et le début d’une politique de modernisation, la pratique du tatouage y est interdite. Dalton rapporte que malgré cette interdiction, Hori Chiyo et son élève tatoueur ont été exceptionnellement autorisés à venir tatouer le futur roi.
L’ANCRE MARINE DE WINSTON CHURCHILL
Le légendaire premier ministre anglais qui gagna la seconde guerre mondiale en battant les nazis portait une ancre marine à l’avant-bras. Descendant d’une grande famille d’aristocrates, il tenait, paraît-il, son amour du tatouage de sa mère, Lady Randolph Churchill, qui arborait un serpent sur son poignet. Cette dernière le cachait sous un bracelet.
Il n’existe malheureusement pas de photo du tatouage de Winston Churchill, mais on sait qu’il s’agissait du traditionnel dessin d’ancre orné d’une corde. L’ancre marine est l’un des premiers tatouages que se faisaient les marins. Il permettait de toujours de rappeler de garder le cap, quelle que soit la force des vents contraires. Aujourd’hui encore, c’est un tatouage extrêmement célèbre et partagé bien au-delà de la communauté des marins. Cette symbolique vous parle ? Découvrez le tatouage de l’ancre marine de Bad Reputation.
LE DRAGON DE NICOLAS II
Nicolas II est âgé de 22 ans lorsqu’il entame son voyage qui le mena en Eurasie. Il se rend notamment à Vienne, en Grèce, en Egypte où il parcourt le Nil avec sa cour, puis en Inde. Il poursuit par une visite à Singapour et à Bangkok.
Le 15 avril 1891, accompagné de six bâtiments de la Marine impériale russe, Nicolas arrive au Japon. La flotte russe du Pacifique accoste d'abord à Kagoshima, puis à Nagasaki et enfin à Kobe. De Kobe, le tsarévitch se rend par la voie terrestre à Kyoto, où il est accueilli par une délégation conduite par le prince Takehito Arisugawa. Comme c'était la première visite d'un membre d'une famille impériale au Japon, et que l'Empire russe voyait son influence grandir en Extrême-Orient, le gouvernement japonais accorda une grande importance à cette visite pour contribuer à l'amélioration des relations entre le Japon et la Russie.
Photographie du tsar Nicolas II arborant son tatouage de dragon sur l’avant bras droit
Le tsarévitch Nicolas manifestait de l'intérêt pour l'artisanat d'art traditionnel japonais et à Nagasaki il se fit tatouer un dragon sur l'avant-bras, suivant ainsi la mode qui s'est répandue dans la seconde moitié du XIXe siècle dans les milieux de l'aristocratie anglaise.
Lors d'une manifestation officielle, le tsarévitch s'est adressé à son hôte pour une demande inattendue; celle de lui présenter des maîtres locaux du tatouage dont il avait entendu parler dans des guides touristiques. Le lendemain deux maîtres de Nagasaki ont été amenés sur le vaisseau amiral de l'escadre russe,où ils réalisent un tatouage sur la main du prince grec qui accompagne l'expédition et l'autre à l'avant-bras droit de Nikolaï, le tsarévitch. Le tatouage a duré 7 heures. Le dessin choisi par Nikolaï est celuid'un dragon oriental noir aux cornes jaunes, aux pattes vertes et au ventre rouge.
Reconstitution du portrait de Nicolas II et de son tatouage
LES TATOUAGES MARINS DU ROI FREDERIK IX
Surnommé le « roi marin », Frederik IX était passionné par la mer et ses tatouages témoignaient de son amour pour le monde aquatique et la vie sur l’eau. Il régna pendant près de 25 ans sur le Danemark et avait le torse couvert de nombreux dessins sur la peau. Surnommé le roi du Peuple, il était connu pour apprécier la compagnie de gens simples et normaux, malgré son statut de roi et ses relations avec d’autres dirigeants et têtes couronnées.
Portrait du roi Frederik IX
Le dragon de style Japonais
Sur la photo ci-dessous, on distingue le dessin d’un grand dragon de style Japonais sur le bras gauche. Au Japon, le dragon est symbole de générosité, de gentillesse et de sagesse. Le roi Frederika probablement fait ce tatouage lors des premiers mois de sa formation militaire alors qu’il s’entrainait au Japon. Alors prince héritier, le futur roi fut très critiqué par les Danois pour ses tatouages à son retour d’Asie. Il faut dire que les dessins encrés sur la peau étaient à l’époque associés aux marginaux. Mais de nombreuses photographies du prince, manches retroussées, attestent que ce dernier ne comptait pas cacher son appartenance à la marine et son amour pour les tatouages.
Photographie du roi Frederik IX et de ses tatouages datant de 1930
Le monogramme
Un autre tatouage du roi a fait parler de lui. Un mystérieux monogramme sur l’avant-bras gauche a longtemps été interprété comme un logo de la marine. On y distingue une couronne, une ancre et des cordes. Il s’agirait en fait d’un monogramme personnel que le prince héritier se serait fait dessiner avant d’être couronné.
Coupure de presse parlant des tatouages du roi (Crédits : Pinterest)
Des historiens, des designers ainsi que la princesse Benedikteont récemment collaboré ensemble afin de reconstituer les tatouages du roi. Cet incroyable travail de reconstitution a permis de reproduire la silhouette du roi avec ses tatouages.
Reconstitution en 3D des tatouages du prince Frederik IX
Les tatouages d’oiseaux
A côté du monogramme, un moineau vient orner l’avant-bras gauche du souverain et deux oiseaux de paradis aux plumes majestueuses sont, eux, situés sur le haut de son bras droit. Il s’agit égalementd’un tatouagemarin, l’oiseau étant le signal que la terre est proche. Il est aussi un symbole de liberté. On peut supposer que le futur roi ait voulu encrer ce sentiment qu’il ressentait peut-être lorsqu’il partait en mer, loin de la terre où il était appelé à régner.
Nous n’avons aucune certitude sur l’endroit où le roi se faisait tatouer, mais certains experts pensent qu’il avait ses habitudes dans un salon de tatouage deNyhavn, un port de Copenhague à l’époque fréquenté par les prostitués et les malfaiteurs.
Fait très surprenant, le roi a adopté une loi en 1966 interdisant de se faire tatouer le visage, le cou, les mains et les pieds!
Photographie du roi tenant l’une de ses filles dans ses bras.
On distingue le tatouage du grand dragon
Une passion en héritage
Si nous ne savons pas si la reine MargretheII est elle aussi tatouée, nous savons en revanche que le prince hériter Frederik de Danemark, petit fils du roi Frédéric IX de Danemark, possède des tatouages. Le prince héritier s’est fait tatouer l’emblème de son surnom dans la marine sur le bras droit et un requin, symbole de son régiment, à l’intérieur de son mollet gauche.
Photographie du tatouage du prince Frederik de Danemark sur l’épaule droite
Nous nous sommes demandés, en écrivant cet article, si les rois légendaires dont nous avons montré les tatouages, auraient aimé faire tatouer des accessoires s'ils avaient pu. Aujourd'hui, la peau en cuir peut être tatouée avec le même procédé et les mêmes outils que ceux utilisés sur la peau humaine. C'est un geste à la fois artisanal et artistique, qui sublime un objet de belle manufacture et porte les traces de l'empreinte de son propriétaire.
Peut-être que Sir Churchill aurait apprécié utiliser une belle pochette en cuir de couleur noire ou de couleur cognac avec une ancre marine tatouée sur le dessus ou à l'arrière, de façon plus discrète. Découvrez notre catalogue d'accessoires en cuir upcyclé et fabriqué en France et le catalogue de tatouages créés pour les sublimer.